Récit UTMB 2008 de Jean-Charles BERTRAND
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INTRO
Bientôt 6 jours que je suis loin de ma famille, à 10 000 km, planqué dans les montagnes de Haute-Savoie. L’attente au Centre de vacances de Vaudagne, bien que reposante et accueillante avec Carole la cuisinière, fut longue. Depuis mon départ de La Réunion, des contractures aux adducteurs me font mal, malgré les étirements quotidiens. J’espère qu’elles partiront pendant la course.
LA COURSE
C’est le jour J, il est 17h30 quand j’arrive sur la place de Chamonix où se tasse les 2300 coureurs. Je cherche mes camarades de DÉNIV et ne vois personne. J’aperçois 2 réunionnais de St-Paul que j’ai croisé au Royal Raid et me place près d’eux à 20 m de la ligne de départ. Toujours pas en vue mes coéquipiers. Tant pis, on se verra à l’arrivée. La foule gronde de plus en plus, on voit l’inquiétude dans le regard des uns, la joie dans celui des autres, tous prêt pour cette grande fête.
Je vérifie mon sac, resserre les sangles, serre mes chaussures biens forts, trop fort. Aïe. Je ne sais pas mais je le regretterai plus tard.
18h30, le départ est donné, et je suis mes 2 compères. Pire qu’un dix km. J’ai décidé la veille, d’amener finalement avec moi mon cardio GARMIN, malgré ses 12 h d’autonomie. Après 3 minutes de course, il affiche 172 puls. Je ne m’inquiète pas, c’est l ‘émotion. Cela fait 5 mois que je m’entraîne pour ça, 5 mois que j’en bave pour essayer de ne pas trop souffrir lors de cet ultra du Mont-Blanc, la Mecque du Trail, avec le Grand Raid.
On s’enfonce dans les rues de Chamonix, entre les hourras des spectateurs et les tapes amicales. Quelle chaleur, j’ai des frissons. Mes 2 « dalons » accélèrent et je les laisse partir. Pas question de me laisser emporter. Cardio à 152, c’est bon. Batman me double par la droite, je double un homme-clocher par la gauche.
Je veux prendre un maximum de plaisir sur cette course même si secrètement je pense pourvoir le faire en moins de 32h. J’ai vu le timing et ça devrait passer. J’ai testé mes allures lors de mes sorties.
J’évite depuis maintenant 8 km les pics des bâtons de coureurs imprudents quand j’aperçois Pascal PENOT aux Houches. Je le rattrape tout heureux et on crie bien fort au public « Allez La Réunion, Allez DÉNIV ».
C’est la première montée, bien raide, l’entrée du menu du week-end. Une pente à plus de 13% pour nous mettre en appétit. Pascal accélère. Cela ne m’étonne pas. Je le laisse filer et continue à ma cadence. Heureusement que j’ai pris des bâtons, acheté il y a 3 jours sur conseil de Martine VOLAY. Ça aide vraiment. 7 km de pure côte infinissable. Et là, en face de moi, le Mont-Blanc couleur orangé. Un coucher de soleil extraordinaire sur son manteau blanc. Je suis venue pour ça. Je ralentis et apprécie. Magnifique !!! Quelle beauté !!! Je relance. Tiens Pascal. Il a un coup de barre : « Allez La Réunion, Allez DÉNIV ». À tout à l’heure !
La Charme, je pointe 421ème. Je n’ai pas tiré sur la bête, faisant bien attention au cardio (155 max) et les sensations sont plus que bonnes. Les contractures, bien que gênantes, ne m’handicapent pas trop.
Descente sur Gervais, je m’éclate et double une centaine de coureur, « facile ». Je suis relâché, descente en douceur, parfait. Quel régal, j’aime descendre, c’est mon point fort. Tiens, Martine justement. Je la double tranquille et lui donne rendez-vous plus loin.
C’est la Méga-fête à Saint-Gervais (21km), une ambiance de folie. Les spectateurs sont déchaînés. Je pointe 343. Paraît que M. STADE 2 est là. Je bois un coca et une soupe puis repars immédiatement. La tactique que j’ai décidée sur l’UTMB est de ne pas traîner sur les ravitos, contrairement à mes habitudes au GRR. 2 min maxi. Ouille ! Une petite douleur aux genoux et aux releveurs se fait sentir. Je n’y porte pas trop attention.
Autre tactique décidée, ne quasiment pas courir sur le plat. Je ferai la différence sur les descentes et assurerai lors des montées à 4/5 km/h.
Donc je ne m’étonne quand une vingtaine de coureurs me dépasse, je m ‘efforce de rester à 6/7 km/h sur le plat. La route est longue. Je suis dans mes temps de 30/32h.
Revoila Pascal, qui me double justement. « Allez La Réunion, Allez DÉNIV ». Puis Martine qui file aussi. Ils aiment le plat d’après ce que je vois.
Grosse montée sur Les Contamines. J’assure et double pas mal de monde en côte sans forcer. Revoilou Pascal. Encore un coup de barre. « Allez La Réunion, Allez DÉNIV ». Je ne m’inquiète pas pour lui, il sait gérer et reviendra. A tout à l’heure !
La montée sur Notre Dame de la Gorge et la Croix du Bonhomme est plus que spectaculaire. C’est du COSTAUD. Les bas-côtés sont remplis de coureurs assis qui ont du mal à poursuivre. Ils sont partis tout simplement trop vite. Je monte tranquille mais les douleurs aux genoux et aux releveurs se font de plus en plus sentir. Je le sais tout de suite « tendinites ». 4 !!! MERDE !!! Je gère et grimpe doucement sans m’arrêter.
Tiens Revoiloula Pascal « Allez La Réunion, Allez DÉNIV ». Il a repris du poil de la bête.
Ça grimpe, ça grimpe encore et encore. Je regarde en haut. Interminable. En bas, on voit dans la pénombre, une file indienne fait de lampe frontale, un vrai serpent de lumière. Enfin la Croix du Bonhomme à 2473 m d’altitude. On le sent bien. 7H de course déjà.
Re-descente et replaisir. Je redouble une centaine de coureurs, toujours faciles. Quel bonheur. Re-Martine. Re-Salut, à tout à l’heure.
Chapieux (50km), un peu moins du tiers du parcours. 367ème . Physiquement je suis bien mais mes membres inférieurs me font cette fois vraiment très mal. Après le ravito, je m’arrête au bout de 2km car impossible de faire plus de 4km/h sur le plat. C’est trop douloureux. Je m’allonge et je fais un point pendant 10 min. MERDE, MERDE ET MERDE !!! Re-re-re salut Martine.
Je souffre, mais décide de repartir. Je n’ai pas fait 10 000 km pour abandonner. Je n’ai pas laissé ma femme et mes 2 enfants pendant 10 jours pour jeter l’éponge. Je continue et passe en mode survie. Je sais que je vais en baver.
Dans la montée, la douleur est moindre, donc Col de La Seigne sans trop de difficulté mais la descente : horrible. J’ai les larmes aux yeux. Le jour se lève déjà.
Je vais voir le médecin au Lac Combal le moral raplaplat. Strap, crème. Doliprane. Je m’allonge 10 min. Dur, dur. Il faut finir cette course.
Mes amis de DÉNIV arrivent, Gislaine, Henrico et Idriss. On discute et j’explique ce qui se passe. On décide de partir ensemble. Mais au bout de 2 km même en marchant, je n’arrive pas à les suivre et les demande de partir pour ne pas les retarder.
J’avance en silence, seul et pense à ma famille. Je fais un calcul rapide : il me reste près de 100 km à parcourir. J’avance à 4km/h sur le plat, 3 en côte et 2 en descente. Moyenne : 3 km/h environ. J’ai déjà fait 11 h de course. Barrière horaire maxi : 46h pour arriver à Chamonix. Je veux rentrer. C’est jouable. Je sais pertinemment que je vais compromettre ma participation au Grand Raid en aggravant mes blessures. Tant pis.
À partir de là, tout ne sera qu’une épreuve face à moi-même, je serre les dents. J’essaye de positiver et pense au maillot finisher, à La Réunion, aux entraînements. Je m’étais préparé à souffrir sur l’UTMB mais pas comme cela.
Le pire c’est qu’avec la douleur, on oublie de s’alimenter et de s’hydrater correctement et le parcours devient un vrai cauchemar. De vrai passage à vide.
Dans la montée de Catogne, lors d’une grosse grosse galère (de plus) j’aurai un coup de téléphone de mon fils de 2 ans qui me fera verser une petite larme. « Allez mon papa champion ». Pas question d’abandonner, j’aurai ce put@@&*% maillot de finisher.
Ma cousine Katia et sa copine Martine qui m’ont suivi pour l’assistance, ne dormant quasiment pas pendant ces 3 jours, sont inquiètes à mon arrivée à Vollorcine à 17km de l’arrivée. Lulu, mon autre cousine, son mari et son fils sont aussi là.
Je n’en peux plus. Je n ‘avais pas réussi à dormir à Champex avec les douleurs et cela se voit. De plus, la descente, une nouvelle fois, m’a tuée. J e suis un vrai zombie, titubant, posant un pied devant l’autre. Il reste un dernier col à franchir puis ce serait la libération. Il faut que je me fasse masser, que je dorme absolument. 15 min de sieste (enfin !!!).
J’y vais. 800 m de dénivelé + en face de moi. Je ne vais pas laisser tomber maintenant. Je me motive, près à en découdre une dernière fois.
Chamonix, la foule présente, applaudit l’arrivée des derniers, je cours malgré mes douleurs vers la ligne d’arrivée. C’est là, la délivrance. Enfin !!! Je me pose. Ouf !!! Martine et Katia qui ont raté mon arrivée pleurent à chaudes larmes dans les bras de Carole.
Je suis FINISHER à l’UTMB : 43h 55 min 42sec.
Malgré mon temps (désolé les gars), DÉNIV finira 8ème par équipe.
ÉPILOGUE
Deux semaines après, malgré les blessures (diagnostic de mon kiné : 6 tendinites aux releveurs, aux genoux et aux tenseurs du fascia-lacta + 2 contractures adducteurs soit Grand Raid très compromis), les images trottent encore dans ma tête. L’UTMB a tenu ses promesses, des bénévoles complètements généreux et extraordinaires, des paysages de toute beauté, un public plus que chaleureux. Une vrai fête. J’ai oublié la galère et ne retiens aujourd’hui que le positif.
C’est sûr, je reviendrai, pour un chrono cette fois, du moins, je l’espère, car la montagne reste imprévisible ;-)
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Merci à Katia et Martine pour leur assistance, fantastique, merci aux bénévoles, aux kinés, à l’organisation, à Carole de Vaudagne, à Déniv, à Martine et Christian VOLAY, et à ma femme qui me laisse assouvir ma passion.